Société & Culture

«Dépénalisation ne veut pas dire légaliser!» (Me Homa Moussavou)

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Avocat au Barreau du Gabon, président de la Commission nationale des Droits de l'Homme, président de l'Association gabonaise de droit pénal (AGDP), Me Homa Moussavou, inscrit sur la liste des avocats de la CPI, du Tribunal spécial pour le Liban et de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, apporte des éclairages sur la dépénalisation de l’homosexualité qui divise l’opinion au Gabon.

Agence Gabonaise de Presse: Le vote en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité à l’Assemblée nationale enflamme la toile et suscite de vives réactions notamment des autorités morales. Qu’en pensez-vous?

Me Homa Moussavou : «Je regrette qu’il y ait trop d’amalgames sur ce sujet. Il n’est pas inutile de rappeler les principes  de liberté et d’égalité et donc de non-discrimination qui sont rappelés à l’article 1er de la constitution Gabonaise du 26 Mars 1991 modifiée, entre autres, par la loi du 12 Janvier 2018. Principes, confortés en cela par l’article 1er  de la déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 Décembre 1948 qui énonce très clairement  que : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». 
Cela posé, il serait superfétatoire de préciser que les homosexuels sont des êtres humains qui sont titulaires de droits, par référence aux «29 principes de Jakarta sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre ». Ces principes qui sont issus d’une réunion d’experts éminents en droit de l’homme, représentant 25 pays, dont ceux d’Afrique (Afrique du sud, Kenya et Botswana), ont été adoptés en novembre 2006 à Jakarta en Indonésie, affirment des normes juridiques internationales obligatoires auxquelles les Etats doivent se conformer. 
Il n’est pas inutile de préciser que l’orientation sexuelle doit être entendue comme faisant référence à la capacité de chacun de ressentir une profonde attirance émotionnelle, affective et sexuelle envers des individus du sexe opposé, de même sexe ou de plus d’un sexe et d’entretenir des relations intimes et sexuelles avec ces individus. Entendons bien, depuis le 17 Mai 1990 l’homosexualité a été supprimée de la liste des maladies mentales. Et c’est également ce même jour qui a été retenu pour la journée mondiale de lutte contre l’homophobie.

Pour revenir à la constitution gabonaise, il convient de noter qu’elle « Enonce en son préambule que «Le peuple gabonais proclame son attachement à ses valeurs sociales profondes et traditionnelles, à son patrimoine culturel, matériel et spirituel, au respect des libertés des droits et des devoirs du citoyen ». Mais il n’est pas non plus anodin de souligner la référence à Dieu en ce même préambule .Or, il suffit de se référer à la décision du 28 février 1992 de la Cour constitutionnelle gabonaise pour se rendre compte que les textes, normes et autres énoncés qui figurent dans le bloc de constitutionnalité ont valeur constitutionnelle. C’est le cas brevitatis causa (dit brièvement) des valeurs culturelles Gabonaises. Un adage latin dit ubusocietas ibis jus (A chaque peuple son droit). Mais, tous les phénomènes sociaux ne peuvent être régis par le droit.  

C’est pourquoi je pense qu’il ne servait à rien de pénaliser puis de dépénaliser c’est-à-dire de soustraire l’homosexualité à la répression pénale, parce que ni l’un ni l’autre n’est utile à notre vivre ensemble. Nous  ne pouvons pas construire une société respectueuse de la personne humaine en excluant une partie de nos semblables. Au risque de déréguler les principes d’égalité et de non-discrimination que nous avons évoqués et qui sont contenus dans notre constitution. Parce qu’il y a des phénomènes humains, sociaux, sociétaux qui n’ont pas besoin d’être systématiquement codifiés, pour autant qu’ils ne perturbent pas l’ordre public. Je crains que le législateur ne se soit fourvoyé». 

Vous êtes avocat au barreau du Gabon et président de la Commission nationale des Droits de l'Homme. De ce point de vue, quelle est la position du président que vous êtes notamment quand des leaders affirment que l’homosexualité n’est pas un droit humain fondamental au Gabon ?

«Comme je le disais plus haut, il ne faut pas que les leaders dont vous parlez perdent de vue que l’homosexuel est un être humain titulaire de droits. Affirmer que «l’homosexualité n’est pas un droit humain fondamental au Gabon», c’est se perdre dans les dédales du droit international des droits de l’Homme qui appelle à la retenue, à la souplesse d’esprit et à l’esprit de tolérance. Le seul droit humain fondamental qui vaille, c’est le droit à l’égalité, le droit à la non-discrimination». 
 
La loi qui pénalise l’homosexualité date de juillet 2019, c’était quoi le statu quo ante en la matière et qu’en sera-t-il si les sénateurs votent contre?

«Avec la pénalisation de l’homosexualité dans le code du 05 Juillet 2019, le législateur a malheureusement mis l’homosexuel dans le lit de Procuste. En dépénalisant, il a créé au grand jour le syndrome d’Icare. Parce que le silence est parfois d’or. Manifestement, il y a un grain de sable dans la philosophie pénale parce que nous venons d’entrer dans un véritable bourbier. A supposer que les sénateurs votent contre, peut-être songeront-ils à composer une commission paritaire. Mais à l’avenir, il serait plus sage de consulter au préalable les spécialistes».

Finalement dépénaliser signifie-t-il légaliser?

«En réalité, la dépénalisation ne pose problème que parce qu'il y a eu justement une pénalisation dans le code pénal du 05 juillet 2019. Cela a été une erreur. Car avant l'adoption de ce code, chacun pouvait vivre son orientation en silence, tant qu'il n'y avait pas d'atteinte à l'ordre public. Il n'y avait pas de problème. Donc, la dépénalisation a ouvert la boîte de Pandore, dès lors qu'on a voulu faire un rétropédalage. Conclusion: nous sommes en présence d'une politique pénale clivant. Mais à peine veut-on conclure qu'on revient sur le fil rouge: en juillet 2019, qui a suggéré de pénaliser, c'est-à-dire de réprimer l'homosexualité ?

Car, une fois qu'on l'avait décidé, toute tentative de dépénalisation (ou de rétropédalage) devenait redoutable. Mais attention, dépénalisation ne veut pas dire légaliser l'homosexualité. La seule légalisation connue et de notoriété au Gabon demeure en faveur du mariage civil ou religieux de l'homme et de la femme, de deux sexes opposés (art 203 du code civil). En dépénalisant, l'homosexualité revient au statu quo ante. Cela ne légalise ni ne certifie ni ne justifie en rien l'homosexualité. Bien au contraire, cela permet d'ignorer la pratique, autrement dit, l'homosexualité demeure un secret de polichinelle. Donc, pas de confusion».

Propos recueillis par Louis-Philippe MBADINGA

 

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