Dans une interview accordée au journal Gabon matin au lendemain de la décision onusienne de retirer les militaires gabonais en République centrafricaine (RCA) pour des allégations d’abus sexuels, Laurent Monty, consultant en géopolitique, diplômé du Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques (EDS) de Paris, affirme que rien n’empêchera que le Gabon soit à nouveau sollicité par les Nations-Unis pour des opérations de maintien de la paix.
Gabon matin: Quelle lecture faites-vous de la décision de l’ONU de retirer les Casques bleus gabonais de Centrafrique pour des allégations d’abus sexuels ?
Laurent Monty: «La première réaction est, bien entendu, celle de l’indignation face à de tels actes. Car, rappelons-le, ces Casques bleus, bien que sous bannière onusienne, représentent la Nation et ont, de ce fait, un devoir d’exemplarité. Toutefois, il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur les 450 Casques bleus gabonais opérant en RCA, il est malheureusement question des agissements de quelques éléments qui suffisent à ternir l’ensemble du corps. Le ministère gabonais de la Défense a produit un communiqué corroborant la décision de l’ONU. Laissons désormais la Justice faire son travail».
Justement ! Comment justifier ce retrait alors que les faits reprochés, qui ne sont pas encore vérifiés, ne concernent que quelques éléments du contingent ?
«La décision de l’ONU d’évincer le contingent gabonais s’appuie sur des allégations d’exploitation et d’abus sexuels bien plus anciennes. Dès 2015, un an après la mise en place de la MINUSCA, 81 Casques bleus gabonais avaient été cités dans des affaires de cet ordre. Je pense que la récurrence des allégations a fini par convaincre les autorités onusiennes, en concertation avec le Gouvernement gabonais, de mettre fin à la participation du contingent gabonais à cette opération de maintien de la paix en Centrafrique».
Cette affaire compromet-elle durablement la participation des soldats gabonais dans les opérations onusiennes ?
«Si on arrive à se départir des sentiments d’indignation qui nous envahissent à la lecture de tels faits, on se rendra compte que ces allégations d’abus sexuels sont un phénomène bien plus global pour l’ONU et les Casques bleus en particulier. Selon l’Associated Press, « Plus de 2000 allégations de crimes sexuels » perpétrés par des employés onusiens à travers le monde ont été répertoriées. On peut citer entre autres les cas suivants : En Haïti, 134 Casques bleus sri-lankais ont été cités ; En 2018, 120 Casques bleus congolais avaient été rapatriés suite à des allégations d’abus sexuels en RCA ; Les contingents burundais et marocains ont été cités dans des affaires d’abus sexuels en RCA ; En 2015 des Casques-bleus français ont eux aussi été accusés d’abus sexuels en RCA. Nous constatons donc qu’il s’agit d’un problème bien plus global qui n’est pas lié à la nationalité des soldats. Il revient à l’ONU de prendre les mesures adéquates pour que leur mission de maintien de la paix ne soit plus ternie par de tels comportements. Aujourd’hui, les soldats cités ne répondent que devant la justice de leurs pays respectifs. On a constaté, avec la relaxe des éléments français accusés en Centrafrique en 2015, que très peu subissent la rigueur judiciaire qui sied à de telles infractions au code d’honneur militaire. En clair, la responsabilité est double : le pays d’origine doit effectuer un contrôle plus serré sur les éléments envoyés sur ces théâtres d’opération, et l’ONU doit se doter de mécanismes de contrôles beaucoup plus stricts allant au-delà du simple renvoi des éléments indélicats. Mais rien n’empêche, à long terme, que le Gabon soit à nouveau sollicité pour des opérations de maintien de la paix».
L’issue de cette affaire affaiblira-t-elle les relations diplomatiques entre la RCA, le Gabon et les Nations-Unies ?
«Rappelons-nous que dès 2018, le président de la République gabonaise, Ali Bongo Ondimba, avait décidé de démobiliser et de rapatrier le contingent gabonais présent en RCA suite, déjà, à des allégations d’abus sexuels. Il aura fallu une visite du président Touadéra à son homologue Gabonais pour que le Conseil des ministres d’alors revienne sur cette décision «Au titre de la solidarité africaine et de l’excellence des relations d’amitié et de fraternité avec le peuple centrafricain».
Les relations bilatérales entre le Gabon et la RCA, sont bien trop anciennes pour être brouillées par cette triste affaire. Sous la présidence de feu Omar Bongo Ondimba, Libreville a été un soutien sans failles et la plaque tournante dans la résolution des crises et des guerres civiles en RCA. Les deux pays continueront, sans doute, de coopérer, notamment sur les questions sécuritaires, diplomatiques et économiques. Au sujet des relations du Gabon avec l’ONU, je ne vois pas d’incidence majeure. Notre pays est respecté pour sa politique en faveur de la protection de l’Environnement. De plus, à partir du 1er janvier 2022 le Gabon siègera au Conseil de Sécurité des Nations Unies comme membre non permanent pour une période de deux ans. Gardons cette affaire d’abus sexuels à sa portée. Je souhaite que les victimes présumées soient toutes entendues et prises en charge. Il n’est donc nullement nécessaire de l’extrapoler plus que de raison, ce d’autant plus que les autorités compétentes s’en sont saisies et ne manqueront pas d’appliquer la rigueur de la Loi gabonaise en la matière».
Quel bilan dresser des 25 ans de présence gabonaise en RCA ?
«Il est difficile dans un tel contexte de dresser un véritable bilan. Sur le plan sécuritaire, le bilan de la présence gabonaise est lié à celui de la présence onusienne. Et de ce fait, on peut dire qu’il est plus que mitigé. Les cas de réussite implacable des opérations de maintien de la paix sont si rares qu’il n’y a pas grand-chose à relever de ce côté. En revanche sur les questions bilatérales et multisectorielles, on peut simplement rappeler que le Gabon a toujours été un soutien de la RCA sur les questions sécuritaires, diplomatiques et économiques. La parfaite connaissance des acteurs et des sujets centrafricains par l’ancien Président Omar Bongo Ondimba, et l’intérêt marqué du président Ali Bongo Ondimba ont fait de notre pays un acteur majeur dans la résolution de la crise centrafricaine. Ainsi, plutôt que de parler de bilan, il faudrait parler des perspectives. Et sur ce point, il y a pas mal de bouleversements avec la présence bien marquée de la Fédération de Russie en RCA. Moscou souhaite faire de sa coopération avec Bangui un symbole fort de son action en Afrique. On observe d’ailleurs la même tendance entre Moscou et Bamako. La France n’a pas manqué de manifester son inquiétude quant à cette « offensive » russe en Afrique subsaharienne et particulièrement dans la sphère francophone».
Propos recueillis par : Valérie Ezeme Mbo
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