À l’occasion de la 30e Journée mondiale de la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF) a appelé lundi à la création d’un poste de représentant spécial auprès du Secrétaire général de l’ONU pour la sécurité des journalistes. Dans une interview réalisée par France 24 et que la rédaction vous propose, la porte-parole de cette organisation mondiale en faveur des droits des journalistes, Pauline Adès-Mevel précise le rôle de ce Représentant, le dernier classement de l’organisation qui révèle que la liberté d’informer est entravée dans près des trois-quarts des pays du monde.
France 24 : À l’occasion de cette Journée mondiale pour la liberté de la presse, RSF demande la création d’un poste de représentant spécial de l’ONU pour la sécurité des journalistes. Quel serait son rôle ?
Pauline Adès-Mevel : «C’est une demande que RSF porte depuis plusieurs années. Partout dans le monde, sur tous les continents où il y a eu plusieurs assassinats ces dernières années, il est essentiel d’assurer la sécurité des journalistes. Un représentant à l’ONU nous permettrait d’avoir un référent en cas d’urgence, et un interlocuteur en mesure d’alerter le monde entier sur cette question. Les discussions sont en cours, mais la création de ce genre de poste est un processus long. De notre côté, nous apportons des données pour convaincre l’ONU : 1 059 journalistes assassinés en dix ans, avec un taux d’impunité qui avoisine les 90%. La haine et les menaces contre les journalistes qui prospèrent. Il faut donc mettre des moyens pour que ce poste de représentant spécial voie le jour. La lutte contre l’impunité passe notamment par les instances internationales et des condamnations publiques de ces crimes, car la sauvegarde de la sécurité des journalistes est une nécessité impérieuse pour garantir au public l’accès à une information libre, indépendante, pluraliste et fiable. Cela vaut en temps de paix comme en temps de guerre, mais aussi en temps de pandémie».
Effectivement, la pandémie de Covid-19 a pu servir de prétexte aux États pour museler la presse, comme à Madagascar la semaine dernière, où neuf émissions de télé et de radio ont été suspendues, sous prétexte qu’elles étaient «susceptible de troubler l’ordre et la sécurité publiques»
«De manière générale, la pandémie de Covid-19 a permis à des États autoritaires et à d’autres de bloquer l’information. Sur les 180 pays que nous étudions, les trois-quarts ont gravement ou moins gravement entravé la liberté d’informer. Ces blocages se sont déroulés de deux façons principales : des entraves à la couverture de l’actualité liées aux restrictions sanitaires, et la désinformation, qui a été extrêmement préjudiciable. Il y a encore des pays dans le monde qui nient l’existence d’un virus.
En Afrique, on a vu de nombreux journalistes arrêtés, des lois liberticides votées. Le Covid-19 a vraiment été un miroir des immenses difficultés auxquelles sont confrontés les journalistes, notamment en Afrique sub-saharienne, où la moitié des pays apparaissent dans la zone rouge ou noire de notre classement».
RSF a récemment publié son classement de la liberté de la presse. Quels sont les principaux enseignements de cette édition 2021 ? Y a t-il des évolutions notables ?
«Ce classement fait déjà apparaître une constante : celle de la domination des pays nordiques, avec, comme chaque année, la Norvège, la Finlande et la Suède en tête. Autre donnée importante : la zone blanche, qui indique une situation d’exercice du journalisme très satisfaisante, est de plus en plus mince. L’Allemagne n’en fait plus partie. Aujourd’hui, seuls 7% des pays étudiés sont dans une bonne situation concernant la liberté de la presse. Mais il y a aussi des évolutions positives, comme le Burundi qui a gagné 13 places dans notre classement. Une manière pour nous de les encourager dans cette voie vers une meilleure liberté d’informer. Enfin, la France n’est que 34e. C’est un mauvais score, quand on constate que la Suisse est 10e ou la Belgique 11e. En France, la couverture des manifestations est devenue un exercice très compliqué pour les reporters visés par des arrestations arbitraires ou encore victimes de violences policières. On voit aussi que les journalistes d’investigation ne sont plus à l’abri des pressions, avec des convocations de journalistes par les services de renseignement en 2019 puis par l’IGPN, la police des polices, en 2020, et un risque de remise en cause du secret des sources. La situation est donc loin d’être idéale. Il faut que la France remonte dans le classement et retrouve un rang comparable à celui d’autres démocraties».
Propos recueillis par France 24
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