Dans une interview accordée à notre rédaction le weekend écoulé, Madina Tall, analyste politique et géostratégique ivoirienne, diplômée en Études Stratégiques, Sécurité et Politique de Défense, Droit et Politiques de Développement, Diplomatie et Relations Internationales, éditorialiste et écrivaine, présidente du Mouvement Nouvel Afrique – Nouvelle Génération fait une analyse des résultats du premier tour de la présidentielle en France qui a vue Emmanuel Macron et Marine Lepen être qualifiés pour le second tour de ce scrutin qui se tiendra le 24 avril 2022.
Agp.ga : Madame Madina Tall bonjour. Comment analysez-vous les résultats du 1er tour de la présidentielle française qui donnent Emmanuel Macron vainqueur ?
Madina Tall: Selon moi, les résultats de ce 1er tour, au-delà d’un refus persistant d’une « extrême droitisation » de la France reflètent le choix de société que souhaitent les Français. Un choix de société mondialiste et fortement européaniste qui fait le rayonnement de la France et qui reste farouchement opposé à celui très nationaliste porté par le Rassemblement (RN) de Marine Le Pen même si la montée de l’extrême droite a eu un impact réel sur la dynamique et l’orientation thématique de cette présidentielle 2022 notamment l’immigration et la théorie civilisationnelle du « grand remplacement » selon Éric Zemmour.
Selon vous, qu’est ce qui a pu militer en faveur des scores du candidat Emmanuel Macron (27,85%) et de la candidate Marine Le Pen (23,15%) tous deux qualifiés au second tour ?
Pour sa part, Emmanuel Macron a le mérite d’un bilan économique assez satisfaisant en comparaison aux précédentes mandatures. On note une baisse du chômage sous le quinquennat qui passe de 9,5 à 7,4% de la population active selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), une progression en moyenne de 0,9% par an du pouvoir d’achat (préoccupation Numéro 1 des Français) selon une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), une baisse des impôts avec la part des prélèvements obligatoires qui passe de 45,1% du PIB en 2017 selon l’INSEE à 43,5% en 2022 selon le projet de loi de finances pour 2022. Et même si ces victoires ont été obtenues au prix d’un accroissement des dépenses publiques ayant explosées de 100 à 113 % du PIB en 2022 selon la cour des comptes, la résultante d’un « quoi qu’il en coûte » des années COVID qui aura certainement « cramé la caisse » comme le disait Valery Pécresse, on pourrait en conclure donc que les 27,85 % d’électeurs à son compte semblent être convaincus par le projet politique du candidat Emmanuel Macron et non les actions politiques du président Macron.
D’autre part, Marine Le Pen a bénéficié d’une dédiabolisation politico-idéologique provoquée par l’incursion du polémiste puis candidat Éric Zemmour. Cela a eu pour impact certes d’occasionner des transfuges politiques du RN vers le parti « Reconquête » d’Éric Zemmour et des ralliements politiques et non des moindres comme celui de Marion Maréchal, figure montante de l’extrême droite. Mais le résultat de ces 23,15% d’électeurs jamais obtenu par Marine Le Pen auparavant, est la preuve d’un élargissement certain et plus conséquent que lors des élections de 2017 de l’assiette électorale traditionnelle du RN. Ce qui confirme une montée en puissance du courant d’extrême droite dans la société française.
Quelle lecture faites-vous du taux d’abstention observé à ce premier tour du scrutin qui est de plus de 26% ?
Le taux d’abstention traduit en tout état de cause un désintérêt de la population française à la politique pour des raisons tout à fait légitimes liées aux fractures sociales politico-idéologiques et surtout d’une absence de réponses dans les offres politiques proposées par les candidats. Néanmoins, il faut souligner aussi la particularité de cette présidentielle française qui a été à tout le moins anormale du fait notamment de la guerre en Ukraine qui a perturbé la campagne et orienté les sujets de la campagne sur les sujets de politique étrangère qui ne sont pas des priorités pour les français, ainsi qu’une opposition au débat démocratique notamment le refus prononcé d’Emmanuel Macron de faire un débat au 1er tour de l’élection présidentielle qui apparaît comme une fuite en avant. Si la courbe des abstentions en France est considérablement élevée ces dernières décennies (28,4% en 2002, 22,2% en 2017 et plus de 26% en 2022), le second tour sera décisif pour convaincre ces sans voix à s’inscrire soit dans le projet nationaliste et d’extrême droite de Marine Le Pen, soit dans le projet Républicain, réformiste et européaniste d’Emmanuel Macron.
Propos recueillis par : Valérie Ezeme Mbo
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