Dans un entretien accordé à la rédaction de l’AGP ce mardi 29 juin, Jonathan Ndoutoume Ngome, spécialiste gabonais des questions géopolitiques et géostratégiques revient sur les avantages des ressortissants du Commonwealth, sur la ruée des anciennes colonies françaises vers cette organisation, avant de décrire la nature de la cohabitation des pays comme le Gabon affiliés aussi bien au Commonwealth qu’à la Francophonie.
AGP : quelles sont les avantages qu’offre le Commonwealth à ses ressortissants ?
Dr Jonathan Ndoutoume Ngome : Très honnêtement, je n’identifie aucun avantage direct, aucun impact direct pour un ressortissant d’un État membre du Commonwealth. Je veux dire que la simple adhésion du Gabon par exemple n’impacte en rien automatiquement la vie des Gabonais que nous sommes en terme d’amélioration des conditions de vie. Pour parler trivialement, être membre du Commonwealth ou de la Francophonie n’ajoute ni morceau de viande, ni cuisse de poulet à nos assiettes. En revanche, à moyen ou à long terme, les populations peuvent bénéficier de certaines opportunités. Par exemple, les bourses d’études pour les étudiants. Aussi, pour un espace linguistique de plus de 2,5 milliards d’habitants pratiquant la langue d’affaires et des sciences la plus parlé dans le monde, il y a forcément des opportunités d’affaires lorsqu’un pays membre comme le Gabon offre une attractivité aux investisseurs économiques. Une telle adhésion peut susciter la venue des firmes internationales dans notre pays et la création des emplois directs et indirects. Autrement dit, être membre du Commonwealth, en plus de la Francophonie, permet une diversification des partenaires économiques, culturelles, scientifiques, etc.
Quelle peut être la signification de la ruée des anciennes colonies françaises vers cette organisation britannique ?
Le Commonwealth n’est pas une organisation britannique, mais une organisation des pays ayant en partage l’usage de l’anglais comme langue. Maintenant, ce qui peut expliquer la ruée des pays francophones vers le Commonwealth peut relever de plusieurs facteurs dont les plus essentiels sont d’ordres économique, scientifique et géopolitique. Sur le plan économique, les pays francophones veulent sûrement diversifier les partenariats d’affaires pour booster leur développement jusque-là stagnant; Sur le plan scientifique, les meilleures écoles, les meilleures universités et les grandes structures d’invention et d’innovation technologique appartiennent au monde anglophone. Cela peut être aussi une motivation des États francophones pour diversifier à ce niveau. Enfin sur le plan géopolitique et diplomatique, il y a beaucoup de malentendus ces derniers temps entre la France et plusieurs pays de son pré carré ou de sa sphère d’influence, notamment les pays francophones d’Afrique où la France est accusée, à tort ou à raison, de ne pas avoir favorisé les conditions de développement de ses anciennes colonies sur les plans économique, culturel et politique. Mais paradoxalement, ce sont les régimes politiques soutenus par la France en Afrique qui commencent à lui tourner le dos progressivement, pour se tourner vers l’Angleterre. Cette menace d’adhérer au Commonwealth peut apparaître de ce point de vue comme un chantage géopolitique vis-à-vis de la France au point de se poser la question si ces adhésions des pays francophones au Commonwealth sont des adhésions de cœur ou de raison ?
Selon vous, comment les pays conjointement affiliés au Commonwealth et à la Francophonie feront-ils pour faire cohabiter les deux organisations concurrentes ?
À mon avis, il n’y a aucune difficulté directe à être membre de la Francophonie et du Commonwealth. La plupart des pays sont membres de plusieurs organisations au niveau sous-régional ou régional (CEMAC, CEEAC, CGG.) pour ce qui est du Gabon, au niveau continental, notamment l’Union Africaine ou au niveau international, l’ONU avec tous ses organismes spécialisés comme l’UNESCO, la FAO, l’OMS…La plupart des pays francophones sont membres de plusieurs organisations au plan bilatéral et au plan multilatéral. Le seul inconvénient peut résider au niveau des cotisations pour ces différentes organisations. Ça peut constituer des charges financières pour le budget d’un État membre de plusieurs organisations.
La France doit-elle s’inquiéter des multiples adhésions de ses anciennes colonies au Commonwealth ?
Absolument ! Je pense que la France devrait s’inquiéter de ces multiples adhésions de ses anciennes colonies au Commonwealth. Cela signifie qu’il y a une certaine remise en cause des relations entre la France et certains régimes africains. Ou encore ces régimes africains, profitent de la contestation de la politique française en Afrique par les populations, pour exercer un certain chantage géopolitique sur l’Hexagone. L’adhésion dans une organisation comporte des droits et des devoirs. Espérons que les États francophones qui adhèrent au Commonwealth actuellement et dans le futur, pourraient remplir leurs obligations. En effet, c’est après l’adhésion du Mozambique dans le Commonwealth en 1997 que des critères plus précis furent adoptés pour faire partir de cette association volontaire de 56 États souverains. Tout d’abord, il faut accepter les principes adoptés à Harare en 1991 concernant la démocratie, la liberté, la non-discrimination raciale. Puis, être un État souverain. Il faut reconnaître la reine Elizabeth II comme chef du Commonwealth. Ensuite, accepter l’anglais comme langue de communication du Commonwealth. Enfin, il faut respecter les vœux de la population sur l’adhésion au Commonwealth. En observant ces critères, chacun peut, à son niveau, en son âme et conscience, se demander si certains pays sont réellement qualifiés pour intégrer cette organisation. Toutefois, d’aucuns ont le droit de s’interroger sur le sérieux de cette organisation et les réelles visées de cette instance décisionnelle. En d’autres mots, est-ce une véritable décision de raison ou plutôt une provocation géopolitique de Londres, après le coup tordu des sous-marins australiens ? Car sur la démocratie, la liberté et la non-discrimination raciale, certains pays francophones ont encore du chemin à parcourir. L’histoire politique de certains pays francophones est suffisamment éloquente à ce sujet. Les crises post-électorales récurrentes depuis le retour au pluralisme politique sont les preuves tangibles de la fragilité de nos systèmes démocratiques. D’ailleurs, le principal problème que la France a avec de nombreux peuples africains est qu’elle est accusée, à tort ou à raison, de soutenir des familles régnantes.
C’est dire que, si on s’en tient aux réalités sociologiques de nos pays qui sont majoritairement dans l’opposition du fait des conditions de vie difficiles du plus grand nombre. Et à l’esprit des principes du Commonwealth, les régimes politiques en Afrique francophone devraient s’inquiéter. Plusieurs pays, à l’instar du Zimbabwe de Mugabé pour ne pas avoir respecté les principes imposés par cette organisation, portent bien la mention « anciens membres du Commonwealth.
Propos recueillis par Valérie Ezeme Mbo
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