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Analyse du différend frontalier entre le Gabon et la Guinée Equatoriale à la lumière de la décision Cour Internationale de Justice (CIJ) du 19 mai 2025 : éléments de compréhension de l’échec diplomatique et juridique du Gabon.
La décision de la Cour Internationale de Justice(CIJ) a débouté le Gabon sur un différend frontalier contre la Guinée Equatoriale de 14 voix contre 1.
La cour a analysé la convention de Bata de 1974 entre le Gabon et la Guinée Equatoriale : « Si le traité de Bata constitue un titre juridique » p. 2. La République du Gabon a fait son argumentaire sur cette convention : « Le traité de Bata fait droit » p. 33. La Guinée Equatoriale par contre, a rejeté ce document en montrant les faiblesses de cette convention. Après avoir entendu les deux parties, la CIJ a déclaré que la convention de Bata : « n’est pas un traité faisant droit entre le Gabon et la Guinée Equatoriale ne constitue pas un titre juridique » p.60. La CIJ a reconnu exclusivement la Convention de Paris du 27 juin 1900 entre la France et l’Espagne : « constitue un titre juridique » p.63.
Cette décision ambivalente de la Cour Internationale de Justice loin de régler le différend a plutôt fait une simple lecture juridique à partir du droit colonial. Ce droit colonial a été élaboré premièrement en 1885 par le chancelier allemand Otto Von Bismarck et deuxièmement au moment des indépendances des pays africains. Il faut souligner que les pays africains n’ont pas été consultés dans les différents tracés frontaliers. Les frontières ont été tracées pour répondre exclusivement aux intérêts économiques des colonisateurs sans prendre en compte la diversité et la complexité de la conception africaine du territoire.
De plus, cette décision peut également se lire au prisme de l’intangibilité des frontières de la colonisation. En effet, l’Organisation de l’Unité Africaine(OUA) avait adopté la Résolution AGH/Res 16 de 1964 dite intangibilité des frontières coloniales. En termes clair, il s’agit pour les Etats africains de l’interdiction de réviser le tracé frontalier du colonisateur.
Ainsi, la convention qui sied pour régler ce différend frontalier est la convention de Bata de 1974. Elle a été signée entre deux souverainetés : le Gabon et la Guinée Equatoriale. Deux acteurs principaux des relations internationales (théorie réaliste des relations internationales). La convention de 1900 entre la France et l’Espagne par contre a son fondement et sa valeur juridique exclusivement durant la colonisation. Après les indépendances, cette convention n’a plus de valeur juridique et légale.
Toutefois, pourquoi le Gabon a perdu le procès ?
Le droit international est le fruit des négociations diplomatiques : conventions, accords, traités, chartes, etc.
Il faut impérativement ces instruments pour saisir les instances juridiques internationales en cas de différend entre États.
Le Gabon a été incapable de produire l’original et l’authentification de la convention de Bata de 1974 signé entre le Gabon et la Guinée Équatoriale au sujet des Îles Mbanie, Cocotiers et Conga. La convention n’a jamais été ratifié par le parlement gabonais ni publié au journal officiel du Gabon. C’est un acte grave et une haute trahison de nos autorités qui n’ont pas respecté leur serment républicain visant à garantir l’intégrité de notre territoire et notre souveraineté. Il s’agit d’un échec et revers de la diplomatie gabonaise.
Je ne suis pas sidéré de cette négligence des archives par nos autorités.
J’ai mené des recherches scientifiques au Gabon, à l’ambassade du Gabon en France, l’ambassade du Gabon au Maroc dans le cadre de ma thèse de doctorat : « Le Gabon et le Maroc au prisme de la diplomatie : essai d’analyse de rapports bilatéraux privilégiés, 1972-2013 ».
Le constat est très alarmant !!!!
Les archives nationales au Gabon existent seulement de nom:
-cartons vides,
-côte mal numéroté,
-archive mal conservée,
-un personnel des archives mal formé,
-un personnel distrait pendant les horaires de travail (vous pouvez aisément sortir avec des archives),
-absence d’un service numérique des documents et des données de l’État.
Dans les ambassades du Gabon à l’extérieur le constat est le même :
-absence d’un service d’archive pour consulter tous les accords signés.
– Les diplomates gabonais à l’extérieur étaient plus occupés à contrôler toute dissidence (opposition) contre les régimes Bongo 1(Omar Bongo 1967-2009) et Bongo 2 (Ali Bongo 2009-2023).
On ajoutera que le plaidoyer du Gabon était très léger et pas assez documenté. Le Gabon aurai fait au préalable une commission nationale composée des historiens, géographes, anthropologues, des anciens diplomates gabonais à la retraite, juristes et les chefs de clans vivants entre la frontière Guinée Equatoriale-Gabon. L’objectif devait être la production d’un mémoire d’une centaine de page bien argumenté et bien documenté.
Quelles perspectives pour le Gabon après cette décision de la CIJ ?
“Le Gabon peut mettre en urgence une commission mixte de coopération avec la Guinée Équatoriale pour redéfinir les frontières. Dans cette commission, il faut des historiens, des géographes, des anthropologues, les juristes, des géopoliticiens, des chefs de clans et des tribus vivants entre la frontière Gabon-Guinée Équatoriale, des politologues, des anciens diplomates gabonais à la retraite et les diplomates gabonais spécialisés dans les questions de frontières et du contentieux international.
La rédaction et la production d’un mémoire d’une centaine de page pour un argumentaire cohérent et bien documenté.
Sans preuve, il n’y ni histoire, ni mémoire, ni jugement possible.
Il faut obligatoirement les archives. Seul le document est maître de l’historien et du juriste”.
Jheff Nsogo Mouissi, docteur en histoire des relations internationales, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) de Paris.
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