LIBREVILLE, 21 novembre 2024 (AGP)- Le Dr. Arsel Moro Ngui, politologue et enseignant-chercheur donne son point de vue sur les résultats issus du scrutin référendaire du 16 novembre dernier, dans une interview accordée à la Rédaction de l’AGP.
Propos recueillis par Stéphane NGUEMA
AGP/Gabon Matin : le référendum constitutionnel a eu lieu le 16 novembre dernier. En tant que spécialiste, quelle appréciation faîtes-vous du déroulement et de l’organisation de ce scrutin ?
Arsel Moro Ngui : Les Gabonais ont été appelés aux urnes le 16 novembre pour s’exprimer sur le projet de nouvelle Constitution du pays. Il s’agit d’un rendez-vous historique, car l’on parle du changement de Constitution d’un pays, l’équivalent de l’acte de naissance pour une personne.
Ensuite, il faut souligner que c’était une des grandes étapes du Chronogramme de la Transition, après la tenue du Dialogue National Inclusif en avril dernier.
Tout cela permet de dire que l’organisation de ce scrutin était très attendue. D’autant plus que l’organisation des précédents scrutins a souvent été l’objet de critiques, tant du point de vue du déploiement de la logistique électorale, qu’en ce qui concerne l’ambiance ou le climat entourant ces scrutins.
Sur le premier point, la logistique électorale, notamment les listes des électeurs et leur affichage, bulletins du OUI et du NON, ont été à la hauteur des enjeux. Excepté quelques centres qui ont connu des retards ou ont été relocalisés pour éviter des affluences fortes. Mais, dans l’ensemble, ça a été satisfaisant.
Sur le deuxième point, l’organisation s’est déroulée dans un climat serein, pacifique. La peur de lendemains incertains n’a pas plombé la journée du 16 novembre. Par ailleurs, les tensions partisanes n’ont quasiment pas été ressenties.
Quelle analyse faîtes-vous des résultats obtenus au niveau national et par province ?
Le OUI l’a emporté sans difficulté majeure. En tout état de cause, cela était prévisible pour deux raisons. La première est que le processus d’élaboration de cette Constitution a été participatif. L’appel à contributions a suscité plus de 38.000 contributions ; ensuite le Dialogue national inclusif qui a relu et tiré les conclusions applicables par le Gouvernement et le CTRI. Le Comité constitutionnel, la Constituante, puis le Gouvernement et le CTRI ont, chacun, donné la forme qu’il fallait à ce projet. Tous ces filtres ont justement veillé à ce que ce projet soit conforme à ce que les Gabonais attendent du futur régime, des futures institutions pour garantir le développement économique du pays et leur bien-être social. Sur la base de ce processus, le plébiscite national estimé à 92% du OUI est tout à fait compréhensible.
Ensuite, il faut relever que la personnalité du Président de la Transition, le Général Brice Clotaire Oligui Nguema, a également pesé. La reconnaissance et la confiance que la grande majorité des Gabonais lui font, suite au Coup de Libération du 30 août 2023, a sans aucun doute fait que les électeurs se soient prononcés très largement en faveur du OUI.
Comment interprétez-vous les taux de participation et d’abstention ?
Le taux de participation de 53% est, à mon avis, un succès. Fatigué par des élections tronquées où le perdant était souvent donné vainqueur, les Gabonais ne croyaient plus au bulletin de vote comme moyen politique et pacifique pour changer l’issue de la gouvernance de leur pays. Les taux d’abstention avaient fortement baissé, oscillant d’une source à l’autre, des moyennes de 20 à 40%. On a eu, avec ce référendum, un regain d’intérêt de la part des électeurs gabonais à repartir aux urnes. L’espoir qu’un nouveau Gabon se construit, a motivé les populations.
S’agissant du NON, 8% en gros, il est non seulement très marginal, mais aussi et surtout, ce serait un leurre de le considérer comme le résultat d’un appel au non ou au boycott. Il s’explique essentiellement par une forme de colère d’une certaine partie de l’opinion qui, sans juger en soi le projet de Constitution, a tenu à signifier aux autorités de transition deux choses : premièrement, la contestation de la connivence avec les tenants de l’ancien régime dont le retour en force frustre beaucoup de Gabonais.
En second lieu, l’insatisfaction liée au fait du chômage, le coût élevé de la vie; de même, les mesures sociales populaires fortes annoncées par communiqué du CTRI sont encore attendues. En d’autres termes, ce Gabon du NON ne doit pas être interprété comme anti-républicain ou anti-démocratique, même si des groupuscules politiques extrêmement habiles et plus ou moins inscrits dans le profito-situationnisme, veulent se tirer la couverture du NON et surtout du taux d’abstention.
C’est un OUI massif qui oblige le Président de la Transition à maintenir le cap sur le changement de la normalisation de notre pays, et donc une forme de message à ne pas décevoir. Un NON qui demande un examen responsable de l’axe socioéconomique de la Transition qui n’est pas encore au bon niveau d’équilibre avec les attentes légitimes.
SN/DT/EN
Commentaires